Nouveaux critères d’évaluation des enseignant-es... Merci chef !

vendredi 4 novembre 2016

Le 31 mai 201 6, Najat Valaud Belkacem déclarait : « Je souhaite passer d’une gestion administrative à une gestion des ressources humaines ». Le ministère explique (dans le style : – je ne menace pas, j’explique) que la mise en oeuvre des augmentations de salaires des enseignant-e-s annoncées en mai-juin dépend de l’acceptation rapide et sans chi-chi de son projet de réforme de l’évaluation. Vous
comprenez que, si on traîne, le gouvernement va changer et hop, les augmentations de salaires, à la poubelle !
Ce chantage s’inscrit dans la logique même du protocole sur les Parcours Professionnels, Carrières et Rémunérations (PPCR), qui s’applique à toute la Fonction Publique d’État.
Dès le départ, le gouvernement a joué la carte du « à prendre ou à laisser » pour l’ensemble des mesures. Le PPCR comporte ainsi en un seul paquet : des augmentations de salaires (insuffisantes et injustes dans leur répartition), une réforme des carrières et de l’évaluation des agent-e-s via les fameux « entretiens de carrière », une mobilité contrainte accrue, des créations de corps trans fonction publique et un renforcement des logiques contractuelles.
Ce texte n’a pas reçu l’aval d’organisations syndicales représentant, d’après les élections professionnelles, une majorité des personnels, puisque notre union syndicale interprofessionnelle Solidaires, la CGT et FO ont refusé de le signer (alors que la FSU, l’UNSA, la CFDT, la CGC et la FA-FP ont signé). Ce projet aurait donc dû être abandonné et de nouvelles discussions auraient dû reprendre, point par point. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement a décidé de passer en force en appliquant
unilatéralement son protocole, s’asseyant sur ses propres règles. Certaines organisations syndicales soutiennent déjà le projet ministériel. D’autres se satisfont du statu quo ou demandent une évaluation « sur un nombre de critères restreint et réellement objectivables ». D’autres encore revendiquent « des critères objectifs » pour hiérarchiser la valeur professionnelle des enseignant-e-s et le maintien d’un « barème chiffré » « afin de rendre le plus objectif possible le classement des personnels lors de l’avancement de carrière ».
Le PPCR se décline désormais secteur par secteur. Dans l’éducation, après la phase de la carotte, avec les annonces sur les augmentations des salaires, voici le temps du bâton, avec la réforme de l’évaluation des enseignant-e-s.

Ce qui nous attend

La nouvelle grille nationale d’évaluation définit neuf compétences, avec quatre niveaux d’acquisition.
Dans le premier degré, les inspecteurs/trices de l’éducation nationale resteraient les seul-e-s évaluateurs/trices. Dans le second degré la double évaluation administrative et « pédagogique » est conservée.
Mais au côté des cinq compétences évaluées par les inspecteurs/trices, trois autres le seraient par le/la chef-fe d’établissement et la neuvième le serait de manière conjointe par l’inspection et par le/la chef-fe d’établissement. Ces nouvelles compétences, valables pour le premier et le second degrés, sont très générales et relèvent en grande partie de dimensions comportementales et relationnelles, bien au-delà des principes de déontologie professionnelle et du respect des missions de service public. La hiérarchie va donc évaluer des compétences telles que la « coopération au sein d’une équipe », la « contribution à l’action de la communauté éducative », le fait que l’enseignant-e agisse « en éducateur responsable et selon des principes éthiques »...

Encore plus de soumission à la hiérarchie

Dans le second degré, le/la chef-fe d’établissement va maintenant pouvoir évaluer des compétences pédagogiques. Ce seront davantage de pressions de la part de la hiérarchie pour imposer la mise au pas des personnels et la docilité dans la mise en oeuvre des réformes contestées ou l’obéissance aux ordres absurdes.
Ce projet s’inscrit ainsi dans la continuité des réformes des missions et des obligations réglementaires de service des enseignant-e-s du premier et du second degrés, qui imposent toujours plus de tâches et de missions sans réduction du temps d’enseignement. Le but est de museler les enseignant-e-s et de les assujettir à un mode de management qui a pour seul but de les faire taire.

Toujours plus managés

Les documents du ministère parlent « d’implication individuelle et collective dans le développement professionnel », sur le modèle managérial initié dans les entreprises capitalistes et qui s’étend progressivement à toute la fonction publique (les personnels des collectivités territoriales y sont soumis-e-s depuis longtemps, mais de plus en plus d’agente-s de la fonction publique d’État également).
C’est devenu une des méthodes classiques du management que d’impliquer le ou la salarié-e dans sa propre évaluation et dans la définition de ses objectifs professionnels, tout en l’incitant à appliquer des processus de travail irréalisables, engendrant des risques psychosociaux, dégradant ses conditions de travail et induisant une plus grande flexibilité dans le temps de travail. Pour les enseignant-e-s, ce sera multiplier les projets et les réunions diverses en dehors de leur temps de service devant élèves en les habituant à des obligations de résultat.
Enfin, la dernière compétence, « s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnnel », marque aussi une évolution du droit à la formation vers un formatage institutionnel imposé par la hiérarchie.

Inspections et entretiens ? d’évaluation

Pour tou-te-s, quatre « rendez-vous de carrière » sont institués : après 7 ans d’exercice, 13 ans, 20 ans puis en fin de carrière. Ils commenceront tous par une inspection en classe, suivie d’un entretien avec l’inspecteur/trice au cours duquel sera fait un retour sur l’inspection et où auront lieu des échanges à partir du bilan professionnel rédigé par l’enseignant-e. Tant que ces évaluations ne seront pas totalement déconnectées de l’évolution des carrières et des rémunérations, cette autoévaluation ne peut être qu’un exercice hypocrite de soumission aux attendus
institutionnels.
Dans le second degré, dans le cadre de « l’accompagnement », et indépendamment des entretiens à intervalles réguliers avec le ou la chef-fe d’établissement, un deuxième entretien aura lieu entre l’enseignant-e et son ou sa cheffe d’établissement dans un délai maximal de six semaines après l’inspection. Le ou la chef-fe d’établissement voit donc son rôle renforcé dans l’évaluation de ses subordonné-e-s. Il/elle devient un-e manager de la carrière des enseignant-e-s, et vient s’immiscer dans leurs pratiques pédagogiques. Outre le renseignement des trois items de la grille, il/elle produira en dix lignes une évaluation du niveau des enseignant-e-s.
SUD éducation combat les inspections et la forme actuelle de l’évaluation. Mais nous considérons que ces nouvelles modalités vont encore accentuer le pouvoir des IEN et chef-fe-s d’établissement. Cette nouvelle évaluation risque d’être encore plus opaque que l’ancienne. Sans grille de référence selon l’échelon, les possibilités de recours en CAP (Commission administrative paritaire, qui peut permettre un certain contrôle des représentant-e-s des personnels) seront réduites et l’arbitraire encore plus grand.
Dans les projets du ministère, les enseignant-e-s seront amené-e-s à exprimer leur souhait d’évolution professionnelle. Mais les mesures concrètes de cette réforme montrent qu’on se dirige vers toujours plus d’individualisation des parcours et de concurrence organisée entre collègues.

SUD éducation réaffirme que la seule solution est la déconnexion complète entre l’évaluation et l’évolution des carrières et des rémunérations.
La fédération SUD éducation a adopté lors de son sixième congrès des revendications offensives que nous soumettons aux personnels et aux débats des assemblées générales. Que ces propositions soient débattues et qu’elles puissent servir à organiser la mobilisation contre cette nouvelle contre-réforme délétère.