Les IA IPR d’histoire-géographie de RENNES présentent les nouveaux programmes de 3ème...et c’est pas triste !

lundi 18 mars 2013

Vox populi vox dei : « la première guerre mondiale s’estompe progressivement », « c’est comme ça ! »

Au-delà du rôle officiel de conseil, les grandes messes institutionnelles telles que les journées de présentation de nouveaux programmes ont aussi une fonction double : délivrer le dogme, bien que ses apôtres s’en défendent et repérer les hétérodoxes et leur degré de rétivité. En toute logique et en bonne intelligence, une explication claire, synthétique, péremptoire et posée doit suffire à réincurver la trajectoire du fautif. Et dans un certain nombre de cas d’hérésie apparente une autre solution s’impose, d’autant plus pratique qu’elle ne sollicite pas un second type de personnel mais la seconde fonction de l’être double du dispensateur, soit l’inspection. Car l’enjeu n’est pas mince : naturaliser ce qui est par définition l’objet d’un choix tout en veillant à l’élévation du degré d’imprégnation vis-à-vis des néo-convertis attendus. Mais il est de toute parole comme de la foi : le degré de conviction étant fluctuant, il s’agit avant tout de circonscrire un catéchisme minimal, soit de définir les fondements de la foi, le cadre imprescriptible. Réaffirmation du dogme, mises au point, refus de toute exégèse, évaluation de catéchisme et survalorisation de toute absence d’indépendance d’esprit. Voici les enjeux, plus ou moins clairement posés. De quoi le mot « Programme » est-il aujourd’hui le nom ?

I/ Des programmes

A l’occasion de l’un de ces moments rares, un IA-IPR d’Histoire-Géographie, se voyant exprimer par un enseignant les difficultés en termes de contraintes horaires à finir d’une part le programme tout en continuant à investir de sens l’objet enseigné, répondit très exactement : « Une Programmation c’est un budget […]. Vous ne pouvez pas déborder. C’est une contrainte [impérative] ». Et d’expliquer qu’il y aurait homologie entre programmation/programme et budget familial, dès lors où dans les deux cas un dépassement (« quand vous êtes dans le rouge ») pose un problème immédiat. Il convient en conséquence « obligatoirement de s’y tenir. Vous ne pouvez pas déborder ». Il convient d’ « aller vite à l’essentiel, c’est ça qu’on vous demande ». A la remarque d’un enseignant demandant le sens à retenir par un élève de la révolution russe dans les nouveaux programmes (30 mns environs) et à celle d’un autre concernant le bien maigre volume horaire dévolu à la Grande guerre (3-4h), l’IA-IPR de répondre la chose suivante, dont il convient de mesurer toute l’ampleur de l’impensé social. Un « fait » tout d’abord : « la première guerre mondiale s’estompe progressivement », tout comme la mémoire de la révolution russe. « C’est comme ça ». Il apparaît(rait) donc que « ça ne correspond plus à la demande sociale d’aujourd’hui », les élèves souhaitant avant toute chose comprendre le monde dans lequel ils vivent aujourd’hui. Et de faire remarquer que Pierre Mendes France, un temps enseigné dans les programmes (« un héros pour moi ») ne l’était plus (« qui le regrette ? »), tout comme la guerre du Péloponnèse, jadis étudiée dans les moindres détails en 6e et à peine évoquée aujourd’hui sur ce niveau. Le devenir des deux événements évoqués semble être fort logiquement le même. Que devrait donc retenir un élève de la révolution russe  ? « Que l’Europe fut coupée en deux » et que la différence de richesse entre Europe de l’est et Europe de l’ouest aujourd’hui serait une des conséquences de cet événement. Enfin, interpellé une fois de plus sur la superficialité de l’enseignement dispensé et de la demande forte d’un certain nombre d’élèves de pouvoir trouver un sens qui leur échappe, l’IA-IPR d’inviter ses auditeurs à diriger les élèves demandeurs vers des lectures, (« dirigez les vers le CDI »), comme Tardi pour la Grande guerre ou la seconde guerre mondiale.

Plusieurs remarques s’imposent :

1 : Un IA-IPR d’Histoire récuse le temps long comme perspective pertinente, soit ni plus ni moins l’un des fondements et l’un des éléments constitutifs de la discipline. Un équivalent en termes d’implication serait un IPR de Physique-Chimie invitant le parterre d’enseignants venus l’écouter à laisser de coté la mécanique quantique pour ne plus se focaliser que sur la théorie de la relativité.

2 : Un IA-IPR semble considérer que le rapport des élèves à la lecture serait identique, et ce quelle que soit la classe sociale d’origine, faisant ainsi fi de toute dimension sociologique, congédiant Bourdieu, Vilfredo Pareto ou Jacques Rancière.

3 : Un IA-IPR recommande de ne pas approfondir des questions.

4 : La culture, sous couvert d’être offerte à tous, ne l’étant plus dans le cadre du cours, serait donc réservée à quelques uns, ceux-là même qui en bénéficient de par leur milieu social d’origine et leur habitus culturel qui, entretenant un rapport particulier et ancien à l’écrit, n’ont aucun mal à fréquenter régulièrement le CDI ou à demander à leur enseignant la référence évoquée en cours.

5 : Une « demande sociale » existerait en tant que tel, serait circonscriptible, en plus d’être un « fait » à satisfaire, comme s’il ne s’agissait pas là d’un acte avant tout performatif, d’une réalité construite par un discours qui lui n’est pas interrogé, car prononcé par une fonction ininterrogeable.

6 : La prise en compte d’une supposée demande sociale reviendrait à considérer la discipline non comme un agent mais comme un espace agi. Il s’agirait de se conformer à une sollicitation, appelée « curiosité », « air du temps » ou ce que l’on veut. Ce faisant cela reviendrait à voir la discipline se voir fixer un cahier des charges, à voir la monture historique tirée dans une direction ou dans une autre, non pas au gré de la recherche (découverte de sources, ouverture d’archives jusqu’alors inaccessibles…) mais d’une « volonté » sociologiquement plus que discutable, car assimilable à la « masse », dont on connaît la qualité d’acteur depuis Elihu Katz, Joseph Klapper ou bien encore Edgar Morin. Répondre à une « demande sociale », en dehors de placer la discipline historique dans un rapport de clientélisme revient également, parmi mille autres implications, à remettre en cause le caractère national des programmes. En effet, quelle peut bien être la « demande sociale » de la guerre d’Algérie dans le Var ou le Vaucluse ? Peut-on considérer qu’elle soit la même que dans le Finistère ?

7 : Considérer la question de la « demande sociale » revient à confondre Histoire et Mémoire et, de la part d’un IPR, à aller gravement dans l’accentuation d’une dérive déjà en cours depuis plusieurs années et dont la principale manifestation est l’injonction du « devoir de mémoire », « mémoire obligée », sorte d’ « injonction à se souvenir » selon Paul Ricoeur. Or la nature même de l’Histoire n’est pas d’être en adéquation avec l’esprit du temps ou d’une quelconque demande. Elle est bien au contraire, comme l’historiographie israélienne pour ne citer qu’elle l’illustre brillamment aujourd’hui avec des chercheurs tels que Tom Seguev ou Shlomo Sand, d’interroger sans cesse ce qui est tenu pour acquis ou ce qui s’est imposé comme discours. Robert Paxton tient-il compte d’une quelconque « demande sociale » lorsqu’il publie La France de Vichy 1940-1944 en 1973, ou bien encore lorsque Jorge Camarasa publie Astiz, un soldato del terrosismo de estado en 2012, retournant la mémoire des années Videla, enfouie des années durant par deux grandes lois d’amnistie, et menaçant de ce fait la concorde civile, c’est-à-dire l’oubli. Car en fin de compte c’est à l’Histoire de contribuer à la mémoire et non l’inverse. La nature même de l’Histoire est de froisser, de retourner sans cesse le manteau, par de nouvelles questions, sans autre limite que sa méthodologie, ses sources et la manière de mener un récit. L’Histoire ne peut être consensuelle au risque, comme notre IPR semble l’oublier, de cesser d’être…historique. Rappelons simplement que Foucault (« Qu’est-ce que les Lumières, », 1984) définissait l’Histoire comme tout à la fois le viol et le respect du Présent, c’est-à-dire le dépassement de ce présent.

8 : Mettre en avant une attente des élèves (comprendre leur présent) en faisant fi du temps long revient tout simplement à faire de l’Histoire du journalisme. Il est intéressant de noter que l’Histoire contemporaine dut lutter jusqu’au début des années 2000 pour cesser de paraître dans les yeux de nombreux étudiants en Histoire comme un domaine illégitime, peu sérieux, plus proche des sciences politiques, de l’actualité ou du journalisme que comme un espace propre. Henry Rousso, dans La dernière catrastrophe, l’Histoire, le présent, le contemporain, paru cette année, rappelle brillamment les enjeux autour de la question et de la perception d’une contemporanéité. Et de suggérer que l’histoire, tendue entre passé et présent, a pour ambition de fabriquer du temps long là où les sciences économiques et sociales, qui portent uniquement sur le présent, produisent massivement du temps court.

9 : Une réaffirmation d’une « fin » de l’Histoire : dans un non dit fukuyamaien le libéralisme ayant triomphé, toute autre idée politique ayant été disqualifiée par « l’expérience des faits » du XXe siècle, l’économique serait le seul élément d’appréciation.

II/ Les attendus du nouveau Diplôme national du Brevet.

Il s’agira ici d’être bref, puisque tout n’est dès lors que la mise en forme des points évoqués ci-dessus qui prennent dès lors sens comme redéploiement global de la discipline vis-à-vis d’exigences nouvelles.

1/ Exit le « paragraphe argumenté », pseudo dissertation il et vrai aux exigences déjà bien faibles, qui comprenaient néanmoins une introduction, une conclusion et un plan. En lieu et place néanmoins une seule « question à réponse développée » pour les trois disciplines (histoire, Géographie, éducation civique pour laquelle il n’est attendu aucun des trois élément précité.

2/ Désormais chaque question se voit être suivie d’un cadre dans lequel l’élève se doit de répondre. Un nombre de signes maximum est désormais de fait exigé puisque l’élève ne peut que répondre dans cet espace réservé, ou lorsque le paradigme twitter s’impose à l’éducation nationale.

3/ Le questionnement à choix multiple peut être employé désormais, tout comme il peut être demandé à l’élève d’ « encadrer, souligner… » des phrases ou des mots du texte en guise de réponse, soit des tâches éminemment complexes.

Une question s’impose donc en conclusion : les éléments rapportés ici ne sont-ils que la simple et unique expression d’un personnel, ou bien traduisent-ils et rapportent-ils un regard plus largement partagé, en haut lieu ? Les implications, cela va sans dire, seraient loin d’être les mêmes.